Pourquoi a-t-on ces problèmes ?

Vrac et obésité numériques créent de nombreux problèmes pour l'entreprise et ses salariés. Pour les éliminer, nous devons comprendre leur source : le problème racine. Passons donc à l'analyse.

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Homme utilisant un microscope
Homme utilisant un microscope

Nous avons exploré les impacts négatifs du vrac et de l'obésité numériques et nous savons qu'ils sont nombreux et sur des plans variés. Nous savons également qu'ils sont à la fois responsables de certaines difficultés que les salariés peuvent avoir dans leur travail, et de certaines difficultés que rencontre l'entreprise. Mais pourquoi a-t-on ces problèmes ?

Un manque de prise de conscience : la majorité d'entre nous ne les voit pas vraiment.

Revenons en arrière

Pour comprendre la situation, nous allons commencer par étudier la difficulté à trouver l'information, qui est l'une des conséquences les plus visibles du vrac et de l'obésité numériques. Si vous demandez aujourd'hui à des salariés comment ils se sentent vis-à-vis de l'utilisation du cloud, beaucoup vous répondront qu'ils sont perdus, que c'est inefficace, qu'ils ne trouvent pas ce qu'ils cherchent et que ça leur fait perdre du temps (les études sur le sujet sont assez unanimes, comme nous l'avons vu ici).

Pourquoi est-ce qu'on ne retrouve pas les fichiers, ou difficilement ?

Quand on effectue une recherche via l'arborescence de dossiers, on voit des fichiers et des dossiers. Ce qui nous permet de retrouver un fichier, c'est premièrement son emplacement (on parcourt les dossiers), et deuxièmement son nom (on scanne le contenu des dossiers). Mais si les fichiers ont des noms flous, alors il faut peut-être les ouvrir pour mieux comprendre à quoi ils correspondent. Et si les dossiers ont des noms flous, alors il faut peut-être tous les passer en revue afin d'être sûrs que ce que l'on cherche ne s'y trouve pas.

Si on effectue une recherche via le moteur interne (le "google" de l'entreprise), on voit une liste de résultats. Ce qui nous permet de retrouver un document c'est d'abord son nom, et ensuite son emplacement (généralement indiqué en-dessous). Mais le problème est le même : un nom de fichier flou et vous devez l'ouvrir pour évaluer son contenu. Et c'est sans parler du fait que le document que vous cherchez n'a peut-être pas les mots-clés que vous avez tapé dans la barre de recherche dans son nom ou dans son contenu. C'est cela, le résultat du vrac numérique.

Maintenant, considérez ceci : plus le dossier que vous observez contient de fichiers, plus il vous faudra de temps pour le passer en revue. Même chose pour une recherche via le moteur : plus il y a de résultats qui sortent dans la recherche, plus cela vous prendra du temps. C'est cela, le résultat de l'obésité numérique.

dossier virtuel désordonné
dossier virtuel désordonné
bureau désordonné
bureau désordonné

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Un nommage flou ralentit la recherche d'information, surtout quand une majorité d'éléments n'est pas explicite (ce qui complexifie les choses de manière exponentielle). Autrement dit : on a des difficultés principalement parce qu'on ne comprend pas à quoi correspondent les dossiers et fichiers, et parce qu'il y en a énormément.

Mais pourquoi les noms sont-ils aussi peu clairs ? Pourquoi y a-t-il trop de fichiers ?

Parce que l'un de vos collègues, un jour, a nommé son document d'une manière qui lui a paru pertinente à ce moment-là. Parce qu'un autre ne savait pas s'il avait le droit de supprimer tel document. Parce qu'encore un autre n'y avait même pas pensé. L'origine de ces problèmes est tout simplement humaine : c'est nous tous qui créons, nommons, rangeons, modifions et manipulons les fichiers. Vous pourriez me répondre : "Ok, mais qu'est-ce qu'on peut y faire, chacun nomme et gère ses fichiers et ses dossiers à sa façon". Ce à quoi je répondrai : oui, car l'entreprise le permet !

Reprenons un instant l'exemple du nommage. Est-ce réaliste, selon vous, de s'attendre à ce que les fichiers soient systématiquement clairs et "bien nommés" ? D'ailleurs, qu'est-ce que ça veut dire "bien nommé" ? De même, est-ce concevable de s'attendre à ce que les salariés décident de la bonne façon de nommer et qu'ils la partagent avec tout le monde ? Evidemment que non ! C'est à l'entreprise de définir les règles et de les partager, d'abord parce que la définition de ces règles doit être faite sur la base d'une réflexion holistique et approfondie, et ensuite parce qu'un salarié n'a ni la légitimité ni la possibilité de mettre en place des règles applicables par tous. Toutes les entreprises imposent déjà des règles sur d'autres plans (les horaires de travail, la confidentialité, le code de conduite, etc.), alors pourquoi pas sur celui-ci ?

Nous avons pris l'exemple du nommage mais le raisonnement s'applique également aux autres causes d'un cloud désordonné. Nous utilisons dans la prochaine image la méthode des "5 pourquoi" pour y voir plus clair (cette méthode consiste à demander "pourquoi ?" face à un problème, de manière répétitive jusqu'à remonter à la source). Prenons pour hypothèse que l'information ou le fichier que je cherche existe et que j'y ai accès.

Evidemment, le raisonnement a été simplifié pour clarifier les choses. Mais ce qu'il faut retenir, c'est que la politique documentaire interne est probablement trop faible : il n'y a pas de règles, ou pas assez ! A l'origine de l'obésité et du vrac numériques, il y a donc un manque de cadre.

Le cadre est fondamental

Tout comme le Code de la Route est fondamental. Ou encore, tout comme le Code de l'Environnement est fondamental : imaginez que tout le monde jette ses déchets n'importe où dans l'espace public. Premièrement, cela serait difficile à vivre pour les passants et les riverains, mais de plus cela compliquerait la collecte des déchets par les camions poubelles. Sans règles sur la gestion des déchets, ceux-ci pourraient être jetés n'importe où, et rester là de manière permanente. De la même manière, sans règles sur la gestion documentaire numérique, les fichiers et les dossiers sont créés de manière hétérogène et s'entassent dans le cloud.

Le désordre numérique est en fait le résultat logique d'une longue période au cours de laquelle toutes les personnes qui ont travaillé pour l'entreprise ont créé et manipulé des fichiers à leur manière. Mais personne ne peut être tenu pour responsable des conséquences engendrées, puisqu'il n'y a pas de cadre qui indique comment agir.

Mais est-ce vraiment l'absence de cadre qui est à l'origine du vrac et de l'obésité numériques ? Parce que si tel est le cas, pourquoi attend-on pour instaurer un cadre ? Pourquoi n'a-t-on pas encore résolu le problème ?

Et c'est là le fin mot de l'histoire.

Un manque de prise de conscience

Comment expliquer autrement la situation ? Est-ce vraiment possible que les dirigeants d'une entreprise soient conscients qu'ils dépensent une fortune pour stocker des documents qui ne servent à rien, que les salariés perdent un temps fou sur des tâches sans aucune valeur ajoutée, que l'entreprise encoure des risques dont l'ampleur est impossible à mesurer (etc.) sans même chercher à résoudre le problème ?

Je prends le parti de penser que non - ou pas complètement. Mais pourquoi n'a-t-on pas conscience du vrac et de l'obésité numériques ?

Parce que le digital est invisible

La première raison, c'est qu'à la différence des déchets qui s'amoncellent clairement devant nos yeux, les dizaines de milliers de fichiers inutiles sont invisibles. Nous ne pouvons pas les voir tous, et nous pouvons ne pas les voir. L'informatique présente à la fois cet avantage et cet inconvénient d'être majoritairement virtuelle pour la plupart d'entre nous. Avec l'écran d'un ordinateur (dont la carrosserie nous cache le moteur), on passe dans un monde quasiment parallèle avec une infinité de possibilités. Au bureau, on ne va jamais dans les salles informatiques, on ne voit quasiment pas toute l'infrastructure nécessaire pour que notre ordinateur communique avec les autres. D'ailleurs, on ne voit pas non plus les data centers. On ne voit vraiment que ce qui s'affiche sur l'écran.

Pour bien visualiser le problème, il suffit de faire un parallèle simple avec une situation qui était encore la norme il n'y a pas 20 ans : imaginez que tous les fichiers soient physiques, qu'ils correspondent chacun à une pile de feuilles A3, A4 ou A5. Pour stocker les archives, vous avez un local dans l'entreprise dans lequel les documents sont organisés dans des dossiers, dans des boites, sur des étagères. Si quelqu'un fait un brouillon, pensez-vous qu'il aille le stocker dans la salle d'archive ? Eventuellement, il pourrait le laisser sur son bureau. Mais il y a toujours un moment où il est nécessaire de trier, parce que sinon, l'entassement se voit. Idem pour le désordre. Et puis le jour où il n'y a plus de place dans la salle d'archive et qu'il faut en utiliser une nouvelle (qu'il faudra potentiellement louer), l'entreprise voudra s'assurer que ce qui est stocké est bien nécessaire et qu'on optimise le stockage. Mais avec le cloud, il n'y a plus cette réalité physique. La salle de stockage virtuelle est protéiforme : elle peut doubler, tripler, décupler en quelques secondes. Alors comme on a pu le faire, on l'a fait : on a tout stocké, derrière l'écran.

Une salle d'un data center
Une salle d'un data center
Parce qu'on s'est habitué

L'aspect invisible du digital n'est pas la seule raison de ce manque de prise de conscience : c'est aussi une question d'habitudes, et les habitudes rendent difficile la prise de hauteur et la remise en question. Quand on y pense, tellement de choses ont changé dans le paysage informatique ces 15 dernières années, entre l'arrivée du cloud, les réseaux sociaux, les logiciels en ligne, etc. Mais les fichiers et les dossiers, eux, sont là depuis le début ! Depuis que les ordinateurs ont pris place sur nos bureaux, nous les manipulons au quotidien. Et forcément, nous avons pris des habitudes, personnelles et individuelles faute de cadre pour nous indiquer des règles à suivre. Sans changement, elles se sont ancrées dans nos modes de travail. Dans ce contexte, il devient compliqué de prendre conscience du problème et de le mettre sur la table.

Parce qu'il n'y a pas (encore) d'urgence

En plus des habitudes, il y a aussi le caractère apparemment "non-urgent" du sujet. Nous avons déjà parlé du fait que le cloud a joué un rôle majeur dans le développement de l'obésité numérique, par la scalabilité qu'il offre au niveau du stockage. On continue de construire des centaines de data centers chaque année bien que l'on sache pertinemment que leur consommation en électricité crée déjà des tensions et qu'ils ont un impact environnemental important. Mais d'un point de vue purement technique, il n'y a pour le moment pas vraiment d'urgence à gérer le volume. Il y a toujours la possibilité de stocker davantage moyennant des frais supplémentaires.

Maintenant, du côté du vrac numérique, il semble difficile d'envisager une quelconque urgence. Le fait que les salariés perdent du temps à chercher les informations est devenu un problème commun, presque banal. La seule urgence possible que l'on peut imaginer tiendrait plutôt à l'occurrence d'un contentieux ou d'un sinistre (perte ou fuite d'informations, attaque d'un ransomware...), où l'entreprise pourrait être amenée à considérer son vrac et chercher à le résoudre.

Parce que le sujet est complexe

Terminons avec l'élément le plus impactant : ce sujet est réellement complexe. On voit les résultats très clairement, on sait qu'on a du mal à trouver les informations par exemple, mais on ne voit pas le lien entre ce problème et les autres que l'on a par ailleurs. Il n'est pas forcément évident aux premiers abords que le fait de ne pas supprimer les fichiers est intimement lié aux difficultés de l'entreprise à maîtriser ses risques. Il n'est pas non plus évident que le fait de ne pas avoir de règles de nommage impacte directement la capacité à retrouver rapidement ce que l'on cherche. Des salariés qui finissent un projet et qui laissent le dossier tel quel derrière eux ne se doutent pas qu'ils sont en train de participer à renforcer un problème qui les touche directement. On ne réalise pas à quel point tout est lié.

Les impacts ne sautent pas aux yeux non plus. On ne pense pas au fait que le brouillon que l'on n'a pas supprimé est maintenant stocké en plusieurs exemplaires à plusieurs endroits de la planète et qu'il pollue indirectement. On ne pense pas au fait que l'entreprise pour laquelle on travaille risque gros à cause de ce fichier qu'on a négligemment stocké dans un dossier du cloud et qu'on a oublié. Et puis de toutes façons, on ne voit pas la facture de stockage et on n'en entend quasiment pas parler.

Un ordinateur éteint
Un ordinateur éteint
Des employés au bureau
Des employés au bureau

En conclusion

Pour solutionner un problème, il est nécessaire de bien comprendre sa source. Si l'on a du mal à trouver les informations, c'est parce que tous les fichiers et dossiers ne sont pas forcément clairs et nécessitent un effort de compréhension. Mais sans règles permettant d'homogénéiser les pratiques, il est logique que chacun fasse à sa manière, et que l'on aboutisse à un énorme chaos de fichiers hétérogènes. C'est l'entreprise qui est responsable de définir et de mettre en place un cadre pour permettre aux salariés de contribuer de manière saine à la gestion du cloud. Seulement pour en arriver là, il manque encore une prise de conscience du problème. Nous sommes encore trop peu conscients de l'ampleur et des intrications du vrac et de l'obésité numériques. Le caractère "invisible" du digital, l'ancrage de nos habitudes, l'aspect non-urgent du sujet et sa complexité intrinsèque sont malheureusement des obstacles de taille à cette prise de conscience. C'est pourquoi ce site a été créé : retirer le voile et agrandir la perspective, pour vous permettre, in fine, de prendre les bonnes décisions.